Dans cet article, nous allons explorer un concept psychologique fascinant et essentiel en thérapie : la dissonance cognitive. Théorisé en 1957 par le psychologue américain Leon Festinger, ce mécanisme joue un rôle crucial dans notre façon de percevoir nos actions et nos croyances. Pour comprendre comment Festinger est arrivé à élaborer ce concept, revenons sur une histoire aussi intrigante qu'éclairante, celle de Marion Keech.
L’histoire de Marion Keech et la naissance du concept de dissonance cognitive
Marion Keech, de son vrai nom Dorothy Martin, est née en 1900 dans l’Illinois, aux États-Unis. Passionnée par le mysticisme et influencée par des courants spirituels comme la théosophie, elle affirmait être en contact avec des extraterrestres appelés les Gardiens, qui lui transmettaient des messages par l’écriture automatique. Ces messages annonçaient la destruction imminente de la Terre et promettaient de sauver un groupe de fidèles grâce à des soucoupes volantes. Convaincue de l’inéluctabilité de cette apocalypse, Keech rassembla un groupe de croyants, dont certains quittèrent leur emploi, distribuèrent leurs biens, et se préparèrent au "grand départ".
L’infiltration de Festinger et l’échec de la prophétie
Lorsque Leon Festinger, professeur de psychologie sociale, apprit l'existence de ce groupe par un article de presse, il décida d’y infiltrer des observateurs pour étudier les réactions des membres face à l’échec probable de leur prophétie. Il voulait comprendre comment ces croyants réagiraient si la fin du monde annoncée ne se produisait pas.
Le soir du 20 décembre, le groupe attendait l’arrivée des extraterrestres censés les sauver. À minuit, puis à 4 h du matin, les heures passèrent sans que rien ne se produise. Keech et ses fidèles se retrouvèrent face à une réalité impensable : leur prophétie ne se réalisait pas. Cependant, au lieu de renoncer à leurs croyances, ils reçurent un nouveau message par « écriture automatique » : le Dieu de la Terre avait annulé le cataclysme, car le groupe avait « répandu tant de lumière » en priant toute la nuit.
Comment le groupe a rationalisé l’échec de la prophétie
Plutôt que d’abandonner leur foi, certains croyants renforcèrent leur conviction et commencèrent même à promouvoir leur message dans les médias. En quelques heures, leur perception avait basculé, les menant à rationaliser l’échec de la prophétie pour sauvegarder leur croyance. Cette réaction paradoxale a permis à Festinger d’illustrer ce qui est aujourd’hui connu sous le nom de dissonance cognitive.
Qu'est-ce que la Dissonance Cognitive ?
La dissonance cognitive survient lorsque deux cognitions – pensées, croyances, émotions ou comportements – se contredisent. Cela peut se manifester dans des situations où nos actions ne sont pas alignées avec nos valeurs ou croyances profondes. Par exemple, dire "je suis détendu" tout en ressentant de l'angoisse, ou être conscient des risques liés à la consommation de tabac tout en continuant à fumer.
Exemples concrets :
Fumer malgré les risques pour la santé
Rester dans une relation toxique en souhaitant être respecté
Culpabiliser en grignotant
Manger de la viande tout en étant sensible à la cause animale
Souhaiter gagner plus d'argent sans vouloir travailler davantage
Pourquoi cette Tension Interne ?
Lorsque nos actions et croyances sont en opposition, cela génère une tension que nous cherchons naturellement à réduire. Pour cela, plusieurs mécanismes peuvent être mis en place afin de retrouver un équilibre psychologique, aussi appelé "consonance cognitive".
Changer de Comportement : Adopter des comportements cohérents avec ses valeurs. Par exemple, une personne qui accorde de l'importance à la santé pourrait changer son alimentation pour être plus en phase avec ses croyances.
Modifier ses Croyances ou Attitudes : Si une personne ne peut pas modifier son comportement, elle ajustera souvent sa croyance. Par exemple, un fumeur pourrait se convaincre que "les risques sont exagérés" ou que "de toute façon, il faut bien mourir de quelque chose".
Justifier son Comportement : Ici, la personne ajoute de nouvelles cognitions pour justifier son comportement. Une personne soucieuse de l'environnement mais utilisant une voiture polluante pourrait se dire : "J'ai besoin de ma voiture pour travailler" ou "Je compense en recyclant".
Minimiser l'Importance du Conflit : Minimiser l'importance de la dissonance en rationalisant. Par exemple, quelqu'un qui travaille excessivement pourrait se dire "Ce n'est qu'une période chargée, cela passera".
Éviter ou Nier l'Information : Certaines personnes préfèrent nier ou éviter des informations qui alimentent leur dissonance. Cela peut se manifester par un fumeur qui évite les avertissements sanitaires, ou une personne sensible à la cause animale qui refuse de regarder des documentaires sur les abattoirs.
Les Origines de la Dissonance Cognitive
Plusieurs situations peuvent générer de la dissonance cognitive :
Contradiction entre Croyances et Comportements : C'est la source de dissonance la plus courante.
Conformité Forcée : Parfois, des obligations professionnelles ou sociales peuvent entrer en conflit avec nos valeurs personnelles.
Pression Sociale et Conformisme : Le besoin d'appartenance peut nous amener à agir en contradiction avec nos propres valeurs pour être accepté dans un groupe.
Prise de Décision : Le choix entre deux options que l'on n'aime pas peut générer une dissonance, surtout lorsqu’il est question de compromis.
Nouvelle Information : Les informations qui contredisent nos croyances préétablies peuvent également créer de la dissonance.
Injonctions Paradoxales de la Société : Notre société nous impose parfois des normes contradictoires, par exemple, "Il faut réussir dans sa carrière, mais aussi passer du temps de qualité avec ses proches".
Les Conséquences de la Dissonance Cognitive
Lorsqu'une personne souffre de dissonance cognitive, cela peut entraîner des symptômes tels que le stress, l'anxiété, voire des crises d'angoisse ou un burn-out. Cette tension interne peut également pousser à adopter des comportements compensatoires, comme fumer ou grignoter plus fréquemment.
En thérapie, il peut être intéressant de s’interroger sur la présence d’une dissonance cognitive lorsque l’on reçoit des personnes qui consultent pour des symptômes liés à l’anxiété ou au mal-être. Beaucoup de personnes ne sont pas conscientes qu’elles vivent en pleine dissonance, car les mécanismes de réduction de celle-ci opèrent souvent de manière inconsciente.
La dissonance cognitive en thérapie
En thérapie, la dissonance cognitive est un levier important pour aider les individus à comprendre les incohérences entre leurs croyances et leurs comportements. Par exemple, une personne souffrant de dépendance peut ressentir une dissonance entre sa perception d’elle-même et ses actions destructrices. En prenant conscience de cette dissonance, elle peut amorcer un changement en harmonisant ses actions avec ses valeurs profondes.
De même, en thérapie de couple, la dissonance cognitive peut aider les partenaires à identifier les conflits intérieurs et à adopter des comportements plus en accord avec leurs besoins et leurs valeurs. En s’interrogeant sur les raisons de leur inconfort, ils prennent du recul, se réalignent et trouvent des moyens plus authentiques de se comporter.
Pourquoi la dissonance cognitive est-elle si influente dans nos vies ?
La dissonance cognitive agit comme un miroir qui nous force à reconnaître les décalages entre nos croyances et nos comportements. En confrontant ces contradictions, elle nous invite à modifier nos actions ou nos perceptions pour atteindre une cohérence intérieure. Ce mécanisme, bien qu’inconfortable, est essentiel dans la construction de notre identité, l’évolution de nos valeurs et nos choix de vie.
L’histoire de Marion Keech et les travaux de Leon Festinger nous rappellent que nos convictions sont parfois plus fortes que la réalité elle-même. Comprendre la dissonance cognitive permet non seulement de mieux se connaître, mais aussi de transformer ces tensions en sources d’évolution personnelle.
Identifier la Dissonance Cognitive
La première étape pour gérer la dissonance est de la reconnaître. Identifier les paradoxes dans lesquels on se trouve peut être un processus difficile, car il implique de remettre en question nos propres comportements et croyances. Lorsque nous prenons conscience de ces contradictions, il devient difficile de les ignorer. Ce processus de prise de conscience peut ainsi amener à une profonde réflexion et initier des ajustements comportementaux ou des changements de croyances.
Utiliser la Dissonance comme Source de Motivation
La dissonance cognitive peut aussi servir de motivation puissante pour initier des changements. En consultation, la thérapie d’acceptation et d’engagement (ACT) peut être particulièrement efficace, car elle encourage les personnes à aligner leurs comportements avec leurs valeurs fondamentales. En identifiant les décalages entre leurs actions et leurs valeurs, les personnes sont encouragées à adopter des comportements plus en accord avec ce qu'elles considèrent comme important.
Mon Expérience Personnelle avec la Dissonance Cognitive
Pour ma part, la prise de conscience de mes propres dissonances m’a énormément aidée à avancer. Cela m’a permis de m’aligner davantage avec mes valeurs. Par exemple, j’ai pris la décision de devenir végétarienne, puis végane, en raison de mes convictions sur la cause animale. J’ai également fait des choix professionnels en accord avec mes valeurs, comme devenir formatrice et écrire des livres. Ce processus m'a également aidée à réévaluer mes habitudes de vie pour tendre vers un équilibre entre mon travail et ma vie personnelle.
Cependant, il est normal que des dissonances subsistent. L’important, pour moi, est de continuer à avancer, d'être consciente de ces paradoxes et de chercher à me rapprocher le plus possible de mes valeurs, même si cela demande du temps.
Conclusion
La dissonance cognitive est une notion clé pour comprendre nos comportements et nos décisions. En tant que thérapeute, cette compréhension m'aide à accompagner mes clients vers des changements significatifs dans leur vie. Identifier et explorer les dissonances présentes est souvent la première étape vers un mieux-être, car cela nous pousse à aligner nos comportements avec ce que nous considérons vraiment comme important.
Alors, que ce soit pour mieux se connaître ou pour aider les autres, comprendre et gérer la dissonance cognitive peut être un véritable levier de transformation personnelle.
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